dimanche, février 19, 2006

Qu'est ce que l'iconostase ?

Description d’une iconostase classique:

Le premier registre en bas : les grandes icônes
L'iconostase est percée de trois entrées. Celle du centre est fermée par une porte à deux battants qu'on appelle "les portes royales". Elles donnent accès à l'autel et présentent l'image de l'Annonciation avec celles des quatre évangélistes. Sur les deux portes latérales figurent les archanges Michel et Gabriel.
À droite (au sud) des portes royales, se trouve l'icône du Christ bénissant. À gauche, celle de la Vierge Marie tenant le Christ. Ces deux images structurent l'espace liturgique et les gestes des participants.
À côté de l'icône du Christ se trouve celle de saint Jean-Baptiste puis d'autres icônes de saints particulièrement vénérés dans l'église. À côté de l'icône de la Vierge se trouve l'icône de la dédicace de l'église (un saint ou une fête) puis d'autres icônes. L'usage russe place l'icône de la dédicace à côté de celle du Christ et repousse saint Jean Baptiste d'une place.

Un second registre : la déisis
Le Christ siège au centre entouré de la Vierge Marie à sa droite et de saint Jean-Baptiste à sa gauche. Après viennent les archanges Michel et Gabriel, puis les princes des apôtres Pierre et Paul, puis des évêques, des diacres, la série peut être très longue et répartie sur plusieurs registres.


Un troisième registre : les fêtes (dodecaorton)
On trouve en général au dessus le cycle des douze grandes fêtes de l'année chrétienne.

Un quatrième registre : les prophètes
Sur le modèle de la déisis, les prophètes entourent la Vierge Marie du Signe, tenant le Christ.

Un dernier registre : les patriarches
Sur le modèle de la déisis, les patriarches de la Génèse entourent l'image des trois anges apparus au chêne de Mambré.




Reflexions sur l'Iconostase
E. Behr-Sigel
à propos de Martin Winkler "Les Jours de Fêtes" Collection "Le Monde des Ιcοnes". Ed. Ides et Calendes, Neuchatel (Suisse)

Quelles sont l'origine et l'histoire de l'iconostase? A quels impératifs religieux son développement, au cours des siècles, a-t-il obei? Quelle est sa signiftcation théologique et liturgique profonde, essentielle?

Issue de la foi et de la prière de l'Eglise, informée par elles, c'est-à-dire recevant d'elles sa forme propre, l'icone est proposée à la vénération des fidèles afin qu'a travers elle, purifié par cette vision de lignes et de couleurs assujetties au canοn ecclésial, le regard de l'orant s'élève à la contemplation aimante et adorante du Mystère Divin. En dehors de cette perspective, l'icone demeure indéchiffrable, quelle que soit la compétence technique et artistique du commentateur.

En ce qui concerne l'iconostase, ce «mur d'images» qui, de nos jours, dans la plupart des èglises grecques οu russes, sépare l'abside, avec l'autel, de la nef οù se tiennent les fidèles, … (son) histoire … nous semble suggérer un certain nombre de constatations et de reflexions.

Ιl ne fait aucun doute que l'iconostase sous sa forme actuelle, monumentale, est le fruit d'un développement relativement tardif. Telle que nous la connaissons, avec ses cinq rangées d'images superposées, occupant toute la largeur et la hauteur de la nef, percée de trois portes menant à la triple abside, elle n'apparaît et ne prend sa forme définitive, en Russie, que dans le second quart du XVe siècle. Saint Serge de Radonège (1313-1392), le maître spirituel par excellence de la Russie moscovite, ne l'a pas connue sous cette forme et, peut-être, dans son souci de sobriété et de pauvreté monastique, ne l'eût-il pas admise. D'autre part, ce n'est guère qu'à partir du XVIIe siècle que l'iconostase russe se répand dans le reste du monde orthodoxe. Cette constatation n'implique, en soi, aucun jugement sur la valeur spirituelle de l'iconostase et sa conformité à la tradition ecclésiale. L'Eglise peut parfaitement reconnaître comme sien, c'est-à-dire comme adéquat à la Vérité Divine dont elle a nοn seulement le dépôt mais qui est inscrite en son cœur par l'effusion toujours renouvelée et toujours neuve du Saint-Esprit, ce qui, du point de vue historique, apparaît comme un fruit tardif de la croissance du grain de sénevé ecclésial. Cependant, c'est au grain, en sa petitesse et en sa pureté, qu'il convient de se référer pour distinguer le fruit authentique de certaines formes dégénérées.

L'iconostase actuelle … est en germe déjà dans la clôture qui, dés le IVe siècle, au temps des Pères de l'Eglise, isolait l'autel de la nef. Cloison transparente, (il s'agissait généralement d'une balustrade de pierre οu de marbre, peu élevée et décorée d'emblêmes chrétiens) elle symbolisait la distinction sans séparation en même temps que la rencontre, dans la Liturgie, du monde céleste, éternel, et du monde terrestre, éphémère; de l'Eglise glorieuse déjà élevée aux cieux en Christ et en la personne de la Mère de Dieu, et de l'Eglise souffrante et militante.

La «querelle des images» du ΙXe siècle dont l'enjeu fut, avec le dogme christologique, la possibilité d'une anthropologie et d'un humanisme chrétiens impliqués en lui, dota cette clôture primitive, après la défaite des iconoclastes, d'une image du Christ placée au milieu de l'architrave qui couronnait la baie centrale. Ainsi l'alliance était... introduite entre la clôture et la peinture, οn s'acheminait vers l'iconostase.

Une autre étape est bientôt franchie lorsqu'à la droite et à la gauche du Christ οn figure les deux intercesseurs, la Mère de Dieu et saint Jean-Baptiste. Tel est le thème de l'icone appelée Déésis οu «priére». Dès lors le sens de la paroi tend non à changer … mais à se préciser dans un sens opposé au dualisme latent de certains milieux chrétiens. L'accent est mis moins sur la distinction de l'Eglise céleste et de l'Eglise terrestre que sur le lien qui les unit, en la personne des intercesseurs et de cette «nuée de témoins» qui bientôt va entourer la Mère de Dieu et le Précurseur et se joindre à leur prière.

Presque en même temps la rédaction définitive par l'Eglise de son calendrier liturgique jalοnné par les «douze grandes fêtes» du Christ et de la Vierge dont chacune éclaire un aspect du mystère de la Rédemption, introduit dans le temple chrétien des thèmes iconographiques nouveaux.

C'est à partir de ces éléments, hérités de Byzance, que se constituera l'iconostase russe, adoptée, à son tour, par les autres églises orthodoxes.

Là encore, il convient de distinguer plusieurs périodes. Jusqu'à la fln du XIVe siècle, l'iconostase russe reste de dimensions relativement modestes et certains indices prouvent que sa hauteur n'était pas telle qu'elle put empêcher les fidèles de suivre l'action liturgique qui se déroule dans le sanctuaire. Seulement au XVe siècle, οù commence à dresser dans les cathédrales et dans les grandes églises conventuelles, par dessus les anciennes balustrades de pierre οu de bois, hautes d'environ 1 m.50, les immenses échafaudages de l'iconostase à cinq étages, comportant outre les rangées des intercesseurs et des images des jours saints, une 4e et une 5e rangées consacrées aux prophètes et aux patriarches.

Ainsi un souci didactique, lègitime en soi (analogue à celui qui animait les bâtisseurs de cathédrales gothiques), le désir « de représenter symboliquement tout le plan divin du salut et sa réalisation progressive» risquaient de rompre l'équilibre et la stricte et sobre ordonnance, orientée essentiellement vers la participation au drame liturgique, de l'iconostase primitive.

D'autres influences d'ordre culturel et social, voire politique, joueront dans le même sens: la puissance et la richesse des princes moscovites, le goût du luxe, du décor et de la beauté qui caractérisent une société nouvelle οù les églises de pierre, «magnifiques et somptueuses», deviennent «le centre de la vie mondaine comme de la vie ecclésiastique».

Ainsi, au cours du XVe et du XVIe siècle, au moment même οù l'art iconographique russe atteint des sommets spirituels dans les œuvres de Denis et de Roublev, s'esquisse un glissement οù les valeurs esthétiques tendent à se substituer à l'inspiration religieuse. … Destinée à symboliser la rencontre et la réconciliation de Dieu et de l'homme, du Ciel et de la Terre, dans la participation de l'Eglise tout entière à l'intercession et à l'offrande de l'Unique Grand-Prêtre, l'iconostase n'apparaît-elle pas comme détournée de sa fin lorsqu'elle arrête et capte, en quelque sorte, la prière de l'assemblée chrétienne, au lieu de la conduire et de la mêler, comme l'eau est mêlée au vin eucharistique, au sacrifice du Christ, au coeur de la Liturgie?